Elle n’est pas rare et elle n’est guère fragile, mais c’est une petite merveille à tous les étages. De la feuille à la fleur, de la racine à la graine, tout est beau chez elle. De plus, elle nous a donné un de nos légumes favoris. Il me plaît donc ce soir de rendre hommage à la Carotte sauvage (Daucus carota, Apiacées).
Un petit tour au jardin, où les “Américaines” se pavanent malgré la sécheresse. On peine à croire qu’on les trouve dans les prairies d’Outre-Atlantique aussi couramment que marguerites ou boutons d’or ! Après le Fumeterre, on reste dans la grande famille des pavots, qui décidément a bien des visages pour séduire les pollinisateurs, et nous aussi par la même occasion (Eschscholzia californica, Papavéracées).
Tant qu’il ne fleurit pas, le Fumeterre est bien discret avec son feuillage vaporeux. Mais quelle est donc cette plante aux noms multiples mais toujours si peu amènes? Herbe à jaunisse, Fiel de terre, Herbe à la veuve, Pisse-sang… la liste est longue qui nous éloigne de la présomption d’innocence… Serait ce le mariage original et pour le moins douteux du rose et du rouge dans ses fleurs qui l’a discrédité? Il en faut plus pour être pareillement dénoncé. Et d’où vient il d’ailleurs, ce curieux vagabond? A en croire la génétique, il a récemment rejoint la famille des pavots. Ah! en voilà un indice! Sa parenté sulfureuse pourrait bien être la cause de ses méfaits. Le Fumeterre sait en effet produire des alcaloïdes toxiques à haute dose, telle la fumarine. Il n’en faut pas plus pour se faire une réputation. Rajoutez à cela qu’il envahit volontiers les cultures, et le compte y est. Mais peut on l’accuser, finalement, de fourbir ses armes pour se défendre des prédateurs? (Fumaria officinalis, Papavéracées).
Au classement des plantes photogéniques, l’Epiaire des bois n’est pas à la traîne. En feuilles, en fleurs, elle joue si bien de la lumière qu’elle parait habitée d’une énergie propre. Semblant fragile, toute en mollesse et si douce au toucher, elle supporte pourtant sans faillir la chaleur écrasante de ce mordant mois de mai. Vous la verrez de loin, comme un nuage rose et argent accroché aux stricts joncs ou flottant sur les jeunes ronces. Le hic, car il y a un hic, c’est son odeur. Gardez vous de vous la piétiner lors d’une promenade en forêt, car elle vous laissera un souvenir olfactif peu agréable. Cela lui doit le surnom peu flatteur d’Ortie puante, qui sied si peu à sa beauté (Stachys sylvatica, Lamiacées).
Le Millepertuis élégant porte bien son nom, lui qui semble me faire sa révérence alors que je lui tire le portrait. Ce petit bijou qui dépasse discrètement du tapis herbeux de la clairière mérite qu’on s’arrête un instant, à sa hauteur, pour l’admirer. Point encore de fleurs jaunes qui viendront en été, mais un charmant air bien à lui, tout en rouge et verts et en éclats de lumière. Au petit matin, il se pare de perles de rosée parfaites, semblant léviter sur ses feuilles. Mais il est plutôt frêle et vous passerez peut être à côté de lui sans le voir. Aussi j’aime à vous offrir ce délicat face à face du jour. (Hypericum pulchrum, Clusiacées).
Les plantes font tant et tant pour s’offrir le service des pollinisateurs. Elles se parent de couleurs pour se faire remarquer, s’enveloppent de parfum, offrent de la nourriture aux insectes s’agitant en quête d’énergie. Et ça marche! Mais rien dans le contrat ne stipule que cela est sans risque… Il est d’autres animaux, globalement mal aimés, qui profitent bien de cette affluence! Ces fleurs si séduisantes, comme celles de la Raiponce noire qui s’épanouit en ce moment aux lisières des forêts, sont bien souvent le lieu de tous les dangers (Phyteuma nigrum, Campanulacées).
Le muguet des sous bois est chiche en clochettes en ce printemps 2022. Cela lui évitera au moins les piétinements intempestifs. Mais qu’à cela ne tienne, mon chouchou du 19 Mars, lui, a bien tenu ses promesses. Tiges florales démesurées, mais pas tant que ça, émergeant tels des périscopes d’un océan de graminées. Délicates fleurs blanches posées sur de petites lanternes rebondies. Une silhouette reconnaissable entre mille. Une sauvage à inviter au jardin, absolument! le Compagnon blanc (Silene latifolia, Caryophyllacacées).
Proche de la lisière, la Scrophulaire noueuse profitait encore, il y a quelques jours, de la belle lumière pour croître et préparer au plus vite ses curieuses hampes florales. Bientôt les grands arbres lui voleront presque tout le soleil. Malgré son apparence anodine et ses fleurs discrètes, elle était autrefois très prisée en phytothérapie. Aujourd’hui, on la laisse en paix, pour le plus grand plaisir des yeux (Scrophularia nodosa, Scrophulariacées).
Après un dernier coup de poing appuyé et toute une semaine de démonstration de force, avec la complicité de la pluie, le froid semble s’en être allé visiter l’autre hémisphère. En quelques jours à peine, c’est enfin l’explosion tant attendue, ce moment où tout semble s’emballer, où les forêts s’habillent de vert en un jour et où les fleurs s’échappent des sous bois. Trop de merveilles de tous côtés pour choisir sereinement l’élue du jour. Alors ce sera la discrète Vesce des haies, parce qu’elle vient d’arriver et parce qu’elle irradie si bien la lumière du renouveau (Vicia sepium, Fabacées).
Le soir s’avance dans la futaie. Les chênes prennent leur temps et dressent encore leurs silhouettes dénudées, alors qu’au sol les Anémones Sylvie, par milliers, se referment pour la nuit. Bientôt la vie prendra de la hauteur et couvrira les ramures. Ce sera le temps des géants chassant la lumière vers les lisières, un temps qui n’est pas le nôtre, un temps qui pourrait se compter en siècle, le temps de l’immobilité, le temps des arbres. (Quercus robur, Fagacées).